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El Alamein (1er juillet – 5 novembre 1942)

Rommel face aux rats du désert

Début juillet 1942, la Panzerarmee Afrika de Rommel n’avait qu’à avancer d’une centaine de kilomètres vers l’est pour atteindre le delta du Nil et le canal de Suez, artères vitales de l’Empire britannique. Or, la résistance stoïque de la 8e armée britannique à El Alamein, petite ville côtière égyptienne, fut le tournant de la guerre en Afrique du Nord. Cette victoire défensive et décisive entraîna non seulement la retraite définitive des forces de Rommel en Tunisie, mais provoqua aussi indirectement la capitulation de toutes les forces de l’Axe en Afrique du Nord et la chute de l’Italie fasciste.

« Ce n’est pas la fin. Ce n’est même pas le commencement de la fin. En revanche, c’est – peut-être – la fin du commencement ».

Winston Churchill

L’armée italienne en déroute

Mussolini calcula que le lendemain de la chute de France était le moment opportun pour évincer les Britanniques du bassin méditerranéen et ressusciter l’Empire romain. Ces derniers assuraient alors la défense de l’Égypte avec seulement 36 000 hommes sous le commandement du général Richard O’Connor. Le 13 septembre 1940, l’imposante armée du général Rodolfo Graziani, composée d’un demi-million de soldats italiens et coloniaux, franchit la frontière égypto-libyenne et captura Sidi el-Barani, village côtier égyptien. Après cela, les Italiens se mirent à fortifier la nouvelle ligne de front.

Conscient que la menace d’invasion était écartée avec l’arrivée de l’automne, Churchill donna aux forces du général O’Connor l’ordre de déclencher une contre-offensive début décembre (l’opération Compass). La contre-offensive britannique infligea une défaite écrasante aux forces italiennes puisque, un mois plus tard seulement, la 10° armée italienne était détruite, l’aviation anéantie, la Cyrénaïque tombait entre les mains des Britanniques et la route de Tripoli s’ouvrait désormais aux modestes forces du général O’Connor.

L’Allemagne nazie devait venir d’urgence au secours de son allié si elle voulait le maintenir dans la guerre à ses cotés. En outre, faute d’envahir le Royaume-Uni, l’Afrique du Nord était le seul théâtre de guerre où les Allemands pouvaient encore infliger des coups a l’Empire britannique.

L’artère vitale de l’Empire britannique

Du point de vue britannique, les enjeux stratégiques du théâtre d’opérations nord-africain étaient évidents. Le gros du ravitaillement en pétrole venait du Moyen-Orient. L’Égypte et surtout le canal de Suez se trouvant sur la route de l’Inde, la perte de cette région paralyserait la communication à l’intérieur même de l’Empire britannique. La perte du littoral nord-africain forcerait les navires de ravitaillement à faire un énorme détour par Le Cap, ce qui pourrait entraîner, à long terme, la défaite du Royaume-Uni.

L’Afrique du Nord constituait donc un intérêt stratégique absolument vital pour l’Empire britannique. Enfin, Churchill était avide d’un succès militaire pour convaincre Roosevelt de lui venir en aide contre les puissances de l’Axe.

Quant à Hitler, qui était occupé par ses plans d’invasion de l’Union soviétique, il ne voyait dans la prochaine intervention allemande en Afrique du Nord, l’opération Sonnenblume (tournesol), qu’une opération de secours de l’allié italien en déroute. Dans la pensée d’Hitler, le front nord-africain avait une importance stratégique secondaire. Les modestes effectifs assignés à l’Afrikakorps du général Erwin Rommel en étaient la preuve. Par ailleurs, soucieux de son propre prestige, Mussolini était réticent à l’idée d’accepter une force allemande importante. Hitler n’envoya donc que deux divisions réduites, la 5e division légère et la 15e division blindée. La première allait atteindre Tripoli en mi-avril 1941, et la seconde seulement à la fin du mois de mai. Rommel, qui débarqua à Tripoli le 12 février, fut mis sous les ordres du général Italo Gariboldi, qui venait de remplacer le général Graziani. La mission initiale était le maintien de la Tripolitaine contre une offensive britannique que les forces germano-italiennes attendaient, en toute logique, à tout moment. Toute offensive sur la Cyrénaïque devait attendre fin mai.

Entre temps, malgré l’insistance du général O’Connor pour la poursuite de la contre-offensive, Churchill ordonna le transfert d’une grande partie des forces britanniques en Afrique du Nord vers la Grèce, qui résistait alors avec acharnement à l’envahisseur italien. D’ailleurs, d’après ULTRA (nom donné par les Britanniques au décryptage d’Enigma et autres messages chiffrés de l’Axe), Rommel ne devait pas passer à l’attaque avant mai.

L’entrée en scène de Rommel

C’était mal connaître Rommel, ambitieux et opportuniste commandant de la « division fantôme ». Contrairement aux ordres conjoints de la Wehrmacht et du Comando Supremo, Rommel déclencha une offensive dés le 24 mars sur El-Agheila. Cette offensive balaya les Britanniques hors de la Cyrénaïque en deux semaines seulement, à l’exception de la forteresse de Tobrouk.

Jusqu’en juin 1942, le théâtre de guerre nord-africain vit une série de batailles pendant lesquelles la Cyrénaïque changea de main plus d’une fois. L’excellence tactique et les succès opérationnels de Rommel lors de ces batailles lui gagnèrent le surnom de « Renard du désert ».

Malgré la résistance stoïque des Britanniques, la forteresse de Tobrouk, point stratégique par excellence sur le littoral libyen, tomba entre les mains des forces germano-italiennes le 21 juin 1942. A l’exception de la perte de Singapour, la chute de Tobrouk fut la défaite la plus grave essuyée par les Britanniques pendant la Seconde Guerre mondiale.

Le 30 juin, les forces allemandes et italiennes s’alignaient devant El-Alamein, petite ville côtière égyptienne.

Rommel n’avait qu’à avancer d’une centaine de kilomètres vers l’est pour atteindre les artères vitales de l’Empire britannique : le delta du Nil et le canal de Suez.

Entre la victoire et la défaite

Début juillet 1942, Rommel, maréchal depuis le 21 juin, était paradoxalement aussi prés d’une victoire décisive que d’une défaite totale.

Contrairement aux Britanniques qui recevaient des renforts considérables et constants, Rommel devait lancer des offensives ou défendre des positions presque sans réserves. Malgré l’enthousiasme créé par la prise de Tobrouk dans le camp germano-italien, l’Ostfront absorbait toutes les ressources. Les 17 000 soldats allemands se battaient en Afrique du Nord depuis seize mois maintenant ; les rations alimentaires étaient insuffisantes ; les conditions sanitaires étaient épouvantables ; les épidémies frappaient plus que jamais les hommes affamés et sales.

L’acheminement des renforts, si tant est qu’il y en ait eu, était un vrai calvaire. Le passage maritime le plus court pour rejoindre la Libye depuis l’Italie était vers le port de Tripoli, qui avait aussi une plus grande capacité de manutention que les ports de Benghazi et de Tobrouk. Mais 2254 kilomètres séparaient Tripoli du front, sans compter les raids de la RAF sur les convois. Les forces germano-italiennes n’avaient ni assez de véhicules ni assez de carburant pour transporter le ravitaillement jusqu’au front. La flotte italienne envoyait aussi des convois au port de Tobrouk, mais le long passage maritime à partir d’Italie était tellement hasardeux que le trajet était appelé « le cimetière de la flotte italienne ».

Si l’on se souvient de la portée bien limitée de la mission initiale de l’Afrikakorps début février 1941, on devrait alors conclure que ce fut Rommel lui-même qui s’était créé de sérieuses difficultés d’approvisionnement en étendant le front au-delà du raisonnable. C’est un point fort controversé qui fait toujours polémique dans les milieux académiques et militaires.

Contrairement au début de l’aventure nord-africaine, la prise de Tobrouk avait enthousiasmé outre mesure Hitler et Mussolini. Hitler commençait en effet à envisager sérieusement le plan Orient selon lequel, une fois l’Égypte conquise, les forces de Rommel devraient faire leur jonction par le sud avec les armées allemandes victorieuses dans le Caucase. Mussolini s’était rendu a Derna avec un cheval blanc en vue de son entrée à la romaine au Caire. Cet enthousiasme que Rommel cherchait a créer depuis le début était devenu désormais un handicap puisque le « Renard » savait mieux que quiconque que le vent, en Afrique du Nord, avait déjà tourné.

Le choix du général Auchinleck

Après la bataille de Gazala (26 mai – 21 juin 1942), malgré la panique qui régnait a Londres et au Caire, le général Claude Auchinleck, commandant de la 8e armée, avait décidé fort habilement de retirer ses forces à El-Alamein. Situé entre la côte et le bord de la dépression de Kattara, El Alamein représentait un front très étroit (56 km). Les marécages et les sables mous de la dépression empêchaient toute tentative de débordement par le sud, tactique adoptée par Rommel. Pour s’emparer de cette position, le Renard du désert devait donc attaquer de front. Ce qui signifiait que la guerre de manœuvre allait devenir une guerre d’usure, par définition défavorable aux forces de l’Axe à court de renforts.

Malgré ces désavantages, Rommel devait agir, et très vite, puisque les Britanniques attendaient d’importants renforts depuis le Royaume-Uni et les États-Unis. La première bataille d’El Alamein commença le 1er juillet par l’offensive de la Panzerarmee Afrika 1.

La première bataille d’El Alamein et la bataille d’Alam El-Halfa

Des deux batailles qui eurent lieu à El Alamein, la première (1-27 juillet) fut la plus cruciale. Même si elle se termina au bout de 26 jours de combat acharné par un statu quo, la 8e armée, certes au prix des pertes très élevées, réussit à arrêter l’avance de la Panzerarmee. Cette première bataille d’El Alamein fut le tournant de la guerre en Afrique du Nord, transformant la guerre de manoeuvre en une guerre d’usure.

A la fin de cette première bataille, les forces de Rommel étaient toujours sans renforts et à bout de force ; Rommel lui-même était malade et démoralisé. Mais ses forces se trouvaient toujours à 100 km d’Alexandrie. Ceci, plus le manque d’autorité du général Auchinleck sur les officiers subalternes, poussa Churchill a remplacer ce dernier le 13 août par le général Bernard Montgomery à la tête de la 8e armée.

Le 13 août 1942, Montgomery prend le commandement de la 8° armée britannique à El Alamein. L’ancien éléve-officier dissipé et bagarreur de Sandhurst est devenu un officier supérieur méthodique, appliqué et organisateur.

Montgomery croyait fermement aux mérites de l’organisation, de la préparation méticuleuse des batailles et de l’évaluation préalable des ressources matérielles et humaines. Bref, si le « Renard » incarnait l’audace, « Monty » incarnait la prudence. Et Montgomery savait que son adversaire ne tiendrait jamais une guerre de position.

La bataille d’Alam El-Halfa commença avec l’offensive de la Panzerarmee (30 août – 5 septembre). A ce moment-la, ULTRA fonctionnait a la perfection, si bien que Montgomery savait tout du plan de Rommel. Pour un commandant qui devait ses victoires, dans une large mesure, à l’effet de surprise, le « Renard » n’avait maintenant plus aucun moyen de surprendre son adversaire.

Rommel essaya tout de même de créer la surprise par la rapidité de ses manœuvres. Toutefois, la ceinture de mines britanniques plus épaisse que prévue, l’intense bombardement de la RAF et la pénurie de carburant déjouèrent son plan. Du 3 au 4 septembre, les forces de Rommel se replièrent progressivement, sans que Montgomery eût tenté de leur couper la route. La bataille d’Alam el-Halfa prit fin le 5 avec la victoire défensive décisive de la 8e armée. Rommel avait définitivement perdu l’initiative.

La longue retraite de Rommel

Rommel, exténué et malade, partit en permission le 23 septembre. Accueilli en héros en Allemagne, il savait pourtant que Montgomery, fort des renforts qu’il recevait, allait passer bientôt à l’offensive et que ses propres forces n’avaient aucune chance d’emporter la bataille. En effet, un mois après le départ de Rommel, Montgomery déclencha l’opération Lightfoot. Ainsi commença la deuxième et dernière bataille d’El Alamein (23 octobre – 5 novembre).

La supériorité britannique, tant quantitative que qualitative, était maintenant écrasante. Pour cette raison, certains ont critiqué par la suite l’extrême prudence du plan de Montgomery, qui entraîna des combats prolongés et coûteux. Le récit de la seconde bataille d’El Alamein illustre bien la différence entre le style Rommel et le style Montgomery. En effet, ce dernier refusa de s’engager dans une bataille d’encerclement et d’anéantissement à l’instar de la bataille de Cannes même quand Rommel, par manque d’effectifs, dut transférer ses divisions qui protégeaient le flanc sud vers le nord menacé. Conscient de sa supériorité, Montgomery était décidé à imposer à son adversaire une bataille de matériel (Materialschlacht) sur un mode rappelant la Grande Guerre.

Le 2 novembre, Rommel décida de replier son armée sur la position de Fouka. La retraite était déjà entamée lorsque arriva l’ordre d’Hitler, qui ordonna a Rommel de se battre jusqu’au dernier homme pour une bataille déjà perdue. Rommel fut profondément bouleversé par cet ordre qu’il qualifia d’insensé. En effet, la seconde bataille d’El Alamein marqua aussi un tournant dans la perception qu’avait Rommel de la conduite de la guerre par Hitler, l’homme qu’il avait admiré et auquel il avait obéi jusque-là. S’il n’était pas homme à désobéir un Führerbefehl, il n’était pas non plus homme à trahir ses soldats. Après 24 heures de tourmente intérieure, il donna l’ordre de retraite sans attendre l’approbation d’Hitler. Une retraite qui balayerait éventuellement les forces germano-italiennes hors de la Libye.

La fin du commencement

La longue retraite de Rommel s‘acheva le 15 février 1943 lorsque la Panzerarmee prit position sur la ligne de Mareth en Tunisie. Entre temps, la 1ère armée anglo-américaine avait débarqué au Maroc et en Algérie (l’opération Torch), et la bataille de Tunisie avait commencé. Les forces de Rommel se trouvèrent alors coincées entre les 8e et 1ère armées.

Pour éviter l’écroulement du front nord-africain, Hitler et Mussolini continuèrent en vain d’engager des troupes en Tunisie. Le 13 mai, l’ensemble des forces germano-italiennes capitulait. Si ces forces avaient été évacuées a temps, comme l’avait suggéré Rommel à maintes reprises, une plus puissante force germano-italienne aurait pu s’opposer au débarquement allié en Sicile des 9 et 10 juillet, première phase de la libération de l’Europe qui devait entraîner par la suite la chute de Mussolini.

Ainsi, les batailles d’El Alamein scellèrent non seulement la défaite des forces de Rommel, mais elles provoquèrent aussi, indirectement, la capitulation de toutes les forces de l’Axe en Afrique du Nord et la chute de l’Italie fasciste. La victoire défensive britannique à El Alamein marquait bien « la fin du commencement ».


La guerre en couleur – La bataille d’El Alamein
El Alamein La Dernière Offensive El Alamein

Liens utiles

A voir également sur YouTube sur la chaîne imineo Documentaires, le documentaire Afrika Korps, une unité d’élite légendaire.

Ludothèque

Le thème de la bataille d’El Alamein a régulièrement été abordé dans des wargames classiques. Par exemple dans la Folio Serie chez Decision Games avec El Alamein: Rommel at Alam El Halfa.

Sur PC John Tiller software propose une simulation précise de cette bataille : El Alamein ’42 Gold.

Celle-ci devrait aussi être abordée dans un futur volet de la récente trilogie Allies Defiant dans Order of Battle (voir cet article), wargame plus facile d’accès. Le DLC Sansdstorm avait précédemment proposé aussi, mais coté allemand, un scénario sur El Alamein (voir ce test).

Le studio Shenandoah avait réalisé un jeu dédié à cette bataille, pour iOS : Desert Fox – The Battle of El Alamein. Il n’est a priori plus disponible.

Matrix Games propose encore Desert War 1940-1942, qui comporte un scénario sur El Alamein.

La première version de Panzer Corps avait aussi proposé ce scénario, dans les extensions Afrika Korps et Allied Corps. La récente seconde version du jeu le proposera très probablement à l’avenir.