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L’essence synthétique

La recherche de l'indépendance énergétique

Fait peu connu, en 1944, la moitié du carburant utilisé par la Wehrmacht est synthétique. L’essence de synthèse a été produite à grande échelle pour la première fois pendant la Seconde Guerre mondiale par l’industrie chimique allemande afin d’approvisionner les forces armées du Reich. Le pays ne dispose pas de ressources suffisantes en pétrole pour espérer mener une guerre mécanisée moderne. En 1934, environ 85 % des produits finis à base de pétrole sont importés. Pour solutionner ce problème de dépendance, le régime nazi entend fabriquer des carburants et des huiles synthétiques à partir de ses ressources en charbon.

L’ingénieur français Eugène Houdry, spécialiste de la fabrication des carburants, met au point un procédé de production d’essence synthétique à partir de lignite dans les années 1920, mais il est jugé peu rentable et est rapidement abandonné. Les ingénieurs allemands Fischer et Tropsch reprennent alors l’idée et obtiennent du carburant grâce à la liquéfaction de gaz tiré du charbon. Friedrich Bergius invente quant à lui un procédé de « liquéfaction directe » plus complexe mais plus économe en charbon, car le mélangeant à de l’hydrogène et du pétrole. La qualité obtenue est suffisante pour obtenir des carburants diesel et à haute teneur en octane utilisables par l’aviation. Ce processus d’hydrogénation est développé et financé par les laboratoires de la Standard Oil Company et ceux d’IG Farben.

La production de carburant synthétique ne peut suivre la consommation, qui est en constante augmentation. Les usines d’hydrogénation et les annexes d’industrie gazière sur la base de charbon et de lignite sont occupées à plein temps. Ainsi, le Dr Carl Krauch, mandataire du IIIe Reich pour l’approvisionnement en carburant, décide de changer la dernière étape du plan de 1936. Une importante partie du charbon est brûlée et utilisée pour obtenir des huiles d’où sont extraits, après raffinage, des carburants.

Le procédé d’hydrogénation du charbon va permettre à l’Allemagne de produire et de stocker l’essence nécessaire aux opérations militaires menées de 1939 à 1940 (la réserve stratégique est alors de cinq millions de tonnes). Cependant, les besoins en matières premières du Reich augmentent au fur et à mesure que le conflit s’étend. Dès lors, le pétrole devient un but de guerre de première importance. Si les champs pétrolifères de Bakou (URSS) et de la péninsule arabique restent inaccessibles, l’Allemagne peut compter sur la Roumanie, la Hongrie et la Galicie pour l’approvisionner.

L’essence de synthèse est appréciée des équipages des blindés en raison de son inflammabilité moindre, mais l’huile de graissage est jugée peu satisfaisante par grand froid.

Une production insuffisante

Six usines de combustion sont construites à proximité des bassins houillers de Haute-Silésie et de Lorraine. En 1942, l’Allemagne compte 17 usines de carburant synthétique dont 12 nouvelles en Prusse-Orientale. Certaines, situées à proximité des camps de concentration, utilisent les déportés comme main d’œuvre. La principale usine de production d’essence synthétique est située sur le site de Blechhammer.

Krauch espère que la production de carburant synthétique puisse atteindre 11 millions de tonnes en 1943, or elle va plafonner à 6,5 millions de tonnes en raison des bombardements stratégiques alliés et de la pénurie en matières premières et en capitaux. Albert Speer va faire son maximum pour disperser et enterrer les usines de production d’essence synthétique.

Le 12 mai 1944, 800 bombardiers de l’USAAF attaquent les sites de Leuna-Merseburg, Böhlen, Zeitz, Lutzkendorf et Brüx (au nord-ouest de Prague). Les Allemands feignent de maintenir le complexe en activité pour attirer les futurs bombardements, alors que la production a été déplacée.

Néanmoins, la perte de la Roumanie et de l’Albanie, la fin des stocks capturés en Italie et la destruction des raffineries mettent gravement en péril l’approvisionnement de la Wehrmacht et de la Luftwaffe. L’essence synthétique est alors l’unique carburant disponible, mais la destruction des usines et des voies de communication provoque finalement un effondrement de la production au cours des derniers mois de la guerre. Il faut dès lors recourir aux énergies de substitution telles que les camions gazogènes et les chevaux.

Le carburant de synthèse produit par l’Allemagne repose sur une technologie remarquable mais coûteuse en main d’œuvre et en matières premières. Suite à la défaite nazie, les données et rapports techniques relatifs sont récupérés par la Technical Oil Mission. Le procédé Fischer-Tropsch pour la fabrication de carburant va rapidement être abandonné par la suite après la découverte et l’exploitation d’importants champs pétrolifères en Arabie saoudite.