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Les dessous du pacte germano-soviétique (23 août 1939)

Des apparences trompeuses

Conclue secrètement et révélée tardivement à la surprise du monde entier, cette alliance entre l’Allemagne nazie théoriquement anticommuniste et l’URSS communiste antifasciste avouée a plusieurs buts grands-stratégiques. Le premier est de neutraliser l’URSS pour ne pas que l’Allemagne combattre sur plusieurs fronts comme en 1914-1918, le second est de dissuader les puissances occidentales d’aider la Pologne.

« (…), seul un régime de despotisme totalitaire, comme celui qui existait dans chacun des deux pays, était capable de supporter la réprobation qu’inspirait un acte aussi anormal ».

Winston Churchill, La Deuxième Guerre mondiale.

Deux pays que tout oppose… en apparence

Rien ne semble concourir à la signature d’un pacte germano-soviétique. L’Allemagne nazie professe un anticommunisme virulent, tant par la persécution des communistes allemands envoyés au camp de Buchenwald, que par l’aide aux Nationalistes dans la guerre civile espagnole depuis 1936. L’URSS prône un antifascisme non moins virulent, lance la stratégie des Fronts populaires en Europe occidentale qui aboutit au Frente popular espagnol et à son équivalent français. Le racisme anti-slave et l’expansionnisme qu’Hitler emprunte aux pangermanistes des années 1880 n’ont rien pour rapprocher les deux dictatures. Et pourtant, dès avant le pacte germano-soviétique, les ponts sont loin d’être rompus entre Hitler et Staline.

Ce dernier cherche le rapprochement avec le Reich, car jusque-là les rapports entre la jeune République des Soviets et la République de Weimar, deux parias diplomatiques, avaient été profitables. L’URSS fournissait à la Reichswehr polygones de tir et terrains d’aviation pour faire des tests militaires destinés à tourner le traité de Versailles, en échange d’argent et de technologies. Pour relancer les relations commerciales avec le Reich hitlérien, Staline envoie à Berlin la mission Kandelaki fin 1934. Il obtient un prêt de 200 millions de Reichsmark. Les relations se brouillent en juillet 1936 avec la guerre d’Espagne qui est aussi une guerre idéologique entre le fascisme et le communisme. La signature du Pacte antikomintern (25 novembre) entre le Reich et le Japon contribue à éloigner les deux pays. Pourtant Staline multiplie les gages de bonne volonté : en 1937, il emprisonne les communistes allemands réfugiés à Moscou et fait exécuter l’ancien chef du KPD. Comme Hitler reste froid, Staline fait alors fusiller le diplomate Kandelaki puis obtient du gouvernement républicain espagnol en 1938 le départ des Brigades internationales hors d’Espagne.

Les accords de Munich décident l’URSS à se rapprocher du Reich

Après avoir annexé l’Autriche, Hitler revendique le rattachement au Reich de la minorité allemande des Sudètes de Tchécoslovaquie. Il menace tout simplement ce petit pays de guerre. En septembre 1938, ni la France, ni la Grande-Bretagne ne sont prêtes à faire la guerre. Leurs opinions sont pacifistes. Hitler est le seul à vouloir une guerre limitée, frédéricienne, à la manière de celle livrée à la Maison d’Autriche par Frédéric II pour conquérir la Silésie. L’Etat-Major de la Heer (Armée de Terre) est très réservé sur l’idée d’une guerre. Mussolini, l’allié fasciste de Hitler, lui aussi hostile à la guerre, dénoue la crise des Sudètes sans qu’on lui demande rien en proposant une réunion quadripartite avec l’Allemagne, lui et les deux puissances occidentales.

La Tchécoslovaquie n’est même pas invitée pour débattre de son propre sort. La France et la Grande-Bretagne sont chargées de protéger les intérêts tchécoslovaques tandis que Mussolini joue les « Monsieur bons-offices ». La Grande-Bretagne, représentée par Chamberlain, le Premier Ministre britannique, et la France, représentée par le Président du Conseil Daladier, cèdent à Hitler lors des accords de Munich (29 septembre 1938). Chamberlain a été berné par Hitler qui lui avait affirmé que le rattachement des Sudètes constituait sa « dernière ambition territoriale en Europe. » Mais Chamberlain se piège en donnant des garanties à la Tchécoslovaquie après les accords de Munich. L’URSS n’est pas invitée à la conférence de Munich où la région des Sudètes est confiée au Reich. Staline se persuade de la faiblesse des Occidentaux, de leur duplicité à son égard et de leur profonde stupidité stratégique. Du fait qu’ils renoncent à une traditionnelle alliance de revers contre l’Allemagne par anticommunisme, Staline en déduit qu’ils ne veulent pas se lier à lui pour pousser Hitler à sa Drang nach Osten (« marche vers l’Est ») qu’il annonce dans Mein Kampf. Pour déjouer la stratégie occidentale et contenir Hitler, Staline juge plus prudent de se concilier ce dernier.

Le cas polonais favorise un axe Berlin-Moscou

Malgré les garanties données par l’Allemagne à la Pologne le 24 janvier 1934, Hitler veut récupérer le port de Dantzig et le rattacher la Prusse orientale au Reich : ce qui couperait la Pologne de son accès à la Baltique. Le 1er janvier 1939, Hitler présente ses vœux à l’ambassadeur soviétique et reprend les relations commerciales avec l’URSS. Staline, le 10 mars, déclare qu’il ne se laissera pas entraîner par les « provocateurs de guerre », visant par-là les Occidentaux.

Fort de son succès à Munich qui a déconsidéré les Occidentaux, Hitler provoque l’éclatement de la Tchécoslovaquie par la sécession de la Slovaquie le 12 mars 1939 après avoir donné la veille des garanties à Mgr Tiso, chef du mouvement slovaque. Le 15 mars, après une nuit d’intimidation à Berlin sur le président Hacha, qui remet son pouvoir entre les mains de Hitler, la Wehrmacht entre sans combat en Tchéquie qui devient le protectorat de Bohême-Moravie. C’est un nouveau coup dur pour la diplomatie de Chamberlain qui, au prétexte que les garanties données à la Tchécoslovaquie sont annulées par la sécession slovaque, décide de ne rien faire. Le 31 mars, il donne des garanties comparables à la Pologne à laquelle Hitler vient de réclamer le port de Dantzig. C’est une manière de regagner de l’audience perdue sur le plan international et intérieur depuis Munich. Au Parlement, seul l’ancien Premier Ministre qualifie justement de « suicidaire » cette garantie que rien ne peut tenir, car aucune action militaire pour aider la Pologne n’est possible sans l’aide soviétique.

Dans le contexte d’alors où l’on jugeait l’URSS militairement inférieure à la Pologne qui l’avait battue dans la guerre de 1921 et le Blitzkrieg n’avait pas encore donné. La Pologne craignait tout autant l’URSS que l’Allemagne nazie : des renforts soviétiques auraient signifié une invasion. Cette garantie britannique militairement inepte n’est donc pas prise au sérieux par Hitler et la Wilhelmstrasse (siège du Ministère des Affaires Étrangères du Reich). Elle engage toutefois une course aux armements entre le Reich et les Occidentaux. Mais l’opposition -minoritaire- des travaillistes anglais au rétablissement de la conscription le 27 avril laisse croire au Führer que la Grande-Bretagne n’a plus la force morale de se battre. Hitler ne prend pas plus au sérieux l’alliance militaire franco-polonaise de 1921. Il pense se garantir d’une riposte occidentale par un pacte dissuasif avec Moscou.

Dès le 3 avril, il veut livrer une guerre limitée et victorieuse à la Pologne. Le 29 avril, l’URSS semble vouloir étendre le pacte franco-soviétique à la Grande-Bretagne, mais le 3 mai, Staline remercie aux Affaires Étrangères Livitnov, pro-occidental, par Molotov. Molotov rencontre son homologue allemand von Ribbentrop en avril. Staline engage des négociations de couverture avec la Grande-Bretagne qui s’oppose à ses prétentions sur les États baltes. Hitler fait de même avec Sir Horace Wilson envoyé par Chamberlain. L’URSS amuse Français et Anglais jusqu’au 24 juillet où un traité de défense des petits pays de l’Est englobant la Pologne est signé.

Signature du pacte germano-soviétique. Ce pacte comporte des clauses secrètes sur le futur partage de la Pologne.

Le pacte germano-soviétique n’a pas d’effet sur les Anglais et les Français

Le pacte est signé dans la précipitation car Hitler prévoit l’invasion de la Pologne pour le 26 août –elle aura lieu le 1er septembre-. Le 16 août, le Reich propose un pacte de non-agression de 25 ans à l’URSS. Le 23 août 1939, Ribbentrop prend l’avion pour signer à Moscou en compagnie de Staline et de Molotov le pacte germano-soviétique. Un protocole secret prévoit un partage de la Pologne et de laisser les mains libres à l’URSS dans les pays baltes et en Finlande.

Hitler a atteint son premier but grand-stratégique. Le deuxième but du pacte, qui consiste à dissuader Français et Britanniques d’aider la Pologne prise entre le marteau nazi et l’enclume soviétique, n’est pas atteint. L’historien militaire et théoricien des blindés britannique Sir Basil Liddell Hart déclare : « Il réveilla, au contraire, leur côté « bull-dog », leur esprit de détermination aveugle quelles que fussent les conséquences. » Il estime que Staline a justement cherché qu’en s’alliant à l’Est, Hitler se fasse des ennemis à l’Ouest. Dans son analyse, Staline pensait que les Occidentaux souhaitaient qu’Hitler dirige son agressivité vers l’Est : Pologne, mais surtout URSS.

Le pacte germano-soviétique déjoue cet espoir occidental basé sur une analyse simpliste des déterminants idéologiques (communisme contre nazisme). Il met l’Allemagne nazie dans une bien meilleure posture stratégique que l’Allemagne wilhelmienne de 1914. Quand Hitler envahit la Pologne le 1er septembre 1939, il s’étonne que la Grande-Bretagne et la France lui déclarent la guerre et en fait le reproche à Ribbentrop. Néanmoins, la machine est lancée, la Pologne est écrasée en quatre semaines puis partagée avec l’URSS. Le 28 septembre, Staline déclare à Ribbentrop que : « si l’Allemagne se retrouvait en situation difficile, elle peut être certaine que le peuple soviétique lui viendra en aide et ne tolérera pas qu’elle soit écrasée. »


Viatcheslav Mikhaïlovitch dit Molotov : le « marteau »

Homme lige de Staline, Molotov est l’homme de tous les pactes et de toutes les transactions diplomatiques. Né en 1890, il entre au Parti social démocrate du travail russe dès 1906 sous le pseudonyme de Molotov (marteau). Ralliant très vite le parti de Lénine, il se présente comme un exécutant scrupuleux. De décembre 1930 à mai 1941, il est chef du Conseil des commissaires du peuple et dirige l’URSS en l’absence de Staline.

Il fait également partie du « groupe des cinq », cercle restreint de fidèles qui prend toutes les décisions concernant les grandes orientations du pays notamment la planification de la dékoulakisation. Homme de l’ombre, Molotov n’en est pas moins actif lors des grandes purges qui frappent l’URSS de 1936 à 1939 et il affirmera en 1970 : « nous qui l’encouragions [Staline], qui étions très actifs, j’ai toujours été favorable à ce que ces mesures soient prises ».

A la veille de la Deuxième Guerre mondiale, Molotov est nommé ministre des Affaires étrangères. Il signe, le pacte historique de non agression avec son homologue allemand von Ribbentrop le 23 août 1939 portant notamment sur le partage de la Pologne. Il soutient comme Staline, la théorie du « brise-glace » allemand capable de terrasser les puissances occidentales avant le déferlement russe sur l’Europe.

Après-guerre, Molotov qui s’oppose à la déstalinisation est désavoué et obtient des postes à responsabilités très limitées. Il décède en 1986.

Joachim von Ribbentrop : gloire et misère du « nouveau Bismarck »

Ribbentrop à Berlin avec Molotov. Le ministre du Reich n’anticipe pas la déclaration de guerre franco-britannique en septembre 1939.

Von Ribbentrop est l’autre grand artisan du pacte germano-soviétique. Né en 1893, il passe ses premières années au Canada puis sert dans l’armée durant la Grande Guerre. Contrairement aux autres hauts dignitaires nazis, il rejoint tardivement le NSDAP (1932), mais ses liens avec les milieux politiques traditionnels lui permettent de gravir rapidement les échelons et de bâtir des fortes amitiés, d’intérêts ou réelles. En 1935, il signe le traité naval germano-britannique qui permet au Reich d’améliorer sa flotte. Ambassadeur à Londres en 1936, il devient ministre des Affaires étrangères en 1938. Un an plus tard, Ribbentrop signe le pacte germano-soviétique. Malgré la stabilité apportée par ce pacte, il pousse à la guerre contre l’URSS. C’est l’apogée de sa carrière.

La guerre s’éternisant en Russie, son influence diminue en même temps que sa fonction aux Affaires étrangères. Seules comptent dorénavant l’armée et la SS, la diplomatie étant reléguée à l’arrière-plan. Bien qu’appartenant à l’aristocratie, il n’est pas inquiété par les violentes représailles suite à la tentative manquée d’assassinat d’Hitler en juillet 1944 dont les instigateurs étaient nobles pour une large part et perçu par les autorité comme un complot réactionnaire.

Lors du procès de Nuremberg il nie toute responsabilité dans la mise en place de l’extermination des juifs mais interrogé par le procureur français Edgar Faure il ne peut masquer plus longtemps son implication. Principal instigateur de la mise en œuvre de la déportation des juifs dans les pays occupés, Ribbentrop est reconnu coupable de crimes de guerre et de crimes contre l’Humanité. Il est pendu le 16 octobre 1946.