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La Big Red One entre en lice

L'opération Torch (8 novembre 1942)

La 1re division d’infanterie US, la fameuse Big Red one, est l’une des rares divisions de l’armée américaine à avoir été continuellement en service actif depuis 1917. Première unité à débarquer en France durant la Première Guerre mondiale, elle est encore à la pointe des combats lorsque les Alliés décident de passer l’attaque en Novembre 1942.

A l’été 1942, la situation est critique pour les Alliés : les forces de l’Axe ont atteint le Caucase et la Volga, elles menacent de prendre Malte, et Rommel a approché à 100 km d’Alexandrie avant d’être stoppé. Les Américains envisagent, pour reprendre l’initiative et soulager la Russie, d’ouvrir un front à l’Ouest en débarquant dans la Manche, mais Roosevelt se laisse finalement convaincre par Churchill (inquiet pour le canal de Suez) de le faire en Afrique du Nord. Un débarquement américain au Maroc et en Algérie permettrait d’assister les Britanniques, de prendre les forces de Rommel en tenaille et d’établir une solide tête de pont pour une future invasion de l’Europe par l’Italie. L’opération « Torch » est décidée le 24 juillet et Eisenhower en est nommé général en chef. La Big Red One y connaîtra son baptême du feu.

Les plans alliés

L’opération prévoit un triple débarquement : la Task Force Ouest, venant des États-Unis, doit envahir le Maroc depuis Casablanca, Port-Lyautey et Safi et s’assurer le contrôle du détroit de Gibraltar ; la Task Force Est doit débarquer à Alger ; quant à la Task Force Centre (avec la 1re division d’infanterie), elle a pour mission de s’emparer d’Oran, important port de la côte algérienne.

L’enjeu est multiple : il s’agit en effet de la première opération d’envergure des Alliés sur le front occidental, et du baptême du feu de l’armée américaine sur ce théâtre d’opérations, notamment pour la ire division d’infanterie. La grande inconnue qui inquiète les Alliés est le comportement que vont adopter les forces de Vichy. Les accords de Cherchell, signés en octobre en conclusion de longs pourparlers avec la Résistance française, prévoient notamment la neutralisation de lieux stratégiques et de personnalités par les résistants dans les trois objectifs afin de faciliter le débarquement américain, mais le mystère demeure quant à la position des forces armées de Vichy.

La Task Force Centre a pour mission de capturer Oran en l’enveloppant. La division débarquera à l’est et à l’ouest de la ville et progressera depuis les plages vers Oran dans un mouvement en tenaille.

Le Combat Team 26 (CT26), composé principalement du 26e régiment d’infanterie et du 33e régiment d’artillerie, doit débarquer à l’ouest d’Oran sur la plage Y. Sur la plage Z, le CT18 doit débarquer sur le flanc droit (Z Green) et le CT16 au centre et sur la gauche (Z Red et White) ; le 1er bataillon de Rangers doit quant à lui neutraliser quelques batteries côtières. Une fois la plage sécurisée, le CCB (Combat Command B de la 1re division blindée) pourra débarquer à l’est d’Arzew. C’est en préparant avec les Britanniques le triple débarquement de l’opération Torch que les Américains adoptent leur système de dénomination des plages objectifs. Chaque plage est nommée et divisée en deux ou trois zones suivant la couleur des feux des navires : gauche (Red, rouge), devant (White, blanc), droite (Green, vert).

Ainsi, les plages dévolues à la 1re division d’infanterie sont les plages Y Red, Y White, Y Green, et Z Red, Z White, Z Green.

Le système sera le même à Omaha Beach, où la Big Red One débarquera le 6 juin 1944 avec d’ouest en Est : Charlie, Dog Green, Dog White, Dog Red, Easy Green, Easy Red, Fox Green et Fox Red.

L’échec de la Résistance à Oran

Si à Alger le plan mis au point par les résistants et les alliés fonctionne, il n’en est pas de même à Oran et au Maroc. À Oran, c’est le fiasco. Le colonel d’active Tostain, qui devait mener la neutralisation des points stratégiques, avertit de lui-même le général Boisseau, son supérieur et commandant de la place, de l’imminence de l’opération, à laquelle il lui demande de se rallier. Boisseau met aussitôt le colonel aux arrêts et, sans trop le prendre au sérieux, déclenche néanmoins un état d’alerte. Les chefs de la Résistance, auxquels Tostain a rapporté son initiative malheureuse, décident en conséquence d’annuler l’opération. Les choses risquent donc d’être plus difficiles que prévu pour la Big Red One, d’autant que les forces stationnées ne sont pas à sous-estimer.

La division d’Oran compte près de 9 000 hommes répartis dans Oran et ses alentours. Deux brigades d’infanterie et deux bataillons de la Légion y stationnent; une quarantaine de blindés et d’automitrailleuses complètent le dispositif, ainsi que trois escadrons de spahis. Quant à la côte, elle est défendue par une douzaine de batteries disséminées entre la plage des Andalouses et Azrew.

Le Major General Allen, commandant la Big Red One, sait donc que le baptême du feu de sa division ne sera pas qu’une simple formalité, mais il est confiant dans le plan.

Plage Y, Minuit.

Face à la plage Y, la plage des Andalouses, le chargement des barges de débarquement commence juste avant minuit, le 7 novembre. La première vague se met en branle vers 23 h 45 et met près d’une heure pour atteindre la plage non défendue. Le 3e bataillon débarque à l’est (Y Green), suivi par le 2e bataillon au centre et à l’ouest (Y Green et White). Le seul problème vient d’un trou d’eau, entre la plage et un banc de sable, dans lequel coulent des véhicules. À 5 h 00 près de 3 000 hommes et 33 véhicules ont déjà débarqué, rejoints dans la journée par l’artillerie lourde (les howitzers de 105 mm).

Le 3e bataillon se rassemble près des Andalouses et avance rapidement vers Bou-Sfer, puis continue en longeant le Djebel. Ce qui avait commencé comme un simple exercice s’arrête brutalement lorsque des tirs violents, provenant des crêtes du Djebel Murdjadjo, stoppent la progression du bataillon.

Le 2e bataillon avance quant à lui vers le Cap Falcon, mais les batteries du fort l’arrêtent à l’ouest d’Aïn-el-Turck. Dans la nuit du 8 au 9, le 33e bataillon d’artillerie réduit au silence les batteries françaises. Le Brigadier General Roosevelt, arrivé au poste de commandement de Bou-Sfer dans l’après-midi du 8, renforce le 3e bataillon bloqué par les Français. Dans la journée du 9 novembre, alors que le 3e bataillon est toujours bloqué, le 2e bataillon prend le village d’Aïn-el-Turck et progresse jusqu’à Bouisseville. Roosevelt ordonne alors au 1er bataillon de déborder les Français en passant à l’est du 3e bataillon.

Au matin du 10, le 26e régiment, soutenu par le 33e régiment d’artillerie, a rempli ses objectifs et est au rendez-vous pour l’assaut final sur Oran.

Plage Z, 23h45…

La force d’invasion prend position. Le 1er bataillon de Rangers débarque à l’ouest de la plage pour neutraliser le fort et les batteries d’Arzew. Deux compagnies neutralisent le fort vers 4 h 00, mais la zone n’est totalement sécurisée que deux heures plus tard.

Le flanc est de la division est assuré par le 1er bataillon du 16e régiment. Il débarque sur Y Red et se dirige à l’est vers La Macta, qu’il occupe vers 13 h 30, pour établir des positions défensives afin de permettre le débarquement du CCB.

Le CT18 débarque alors sur Y Green. Le 3e bataillon attaque Arzew, où il rencontre une sérieuse résistance (faisant près de 300 prisonniers) avant de pousser plus à l’ouest.

Le 1er bataillon débarque sans problème et file directement vers Saint-Cloud. Il tombe d’abord sur quatre automitrailleuses qu’il neutralise, puis est accueilli à Saint-Cloud par un tir nourri de fusils, mitrailleuses et artillerie, qui le fait reculer. Le village est défendu par le 16e régiment d’infanterie tunisien et par un bataillon de la Légion, soutenus par 14 canons de 75 et quatre canons de 37, sans compter les mitrailleuses et les mortiers.

Au cours de la journée, le CT18 réussit à se déployer autour de la ville, le 32e régiment d’artillerie l’ayant rejoint entre-temps. Un assaut est programmé pour le 9 à 7 h 00, mais cette attaque est repoussée une nouvelle fois. Le village, entouré de vignes, offre une position défensive de premier plan. Le général Allen, devant cet échec, décide tout d’abord d’apporter au CT18 le renfort d’un bataillon du CT16 ainsi que toute l’artillerie disponible pour un nouvel assaut prévu à 14 h 00. Mais il se ravise au dernier moment et, ne laissant qu’un bataillon devant Saint-Cloud, il contourne la ville avec le reste de ses forces. Cette manoeuvre lui permet de gagner du temps d’une part, et d’épargner des vies et des dégâts qu’aurait causé un bombardement intensif.

Le port d’Azrew ayant été sécurisé, les blindés du CCB peuvent, au matin du 8, débarquer des tankers « Lake Maracaibo » modifiés par les Anglais pour permettre un déchargement par la proue. Les blindés partent vers le sud, atteignent Sainte Barbe du Tlelat et capturent le terrain d’aviation voisin de Tafaraoui, puis remontent vers Oran mais sont stoppés à La Sénia. Malgré cela, la prise d’Oran est prévue pour le lendemain.

« Rien au Ciel ne doit retarder ou stopper cette attaque » (Major General Allen)

L’après-midi du 9 est consacré à la mise au point de l’assaut sur Oran. Cinq bataillons des CT16 et 18 doivent entrer dans la ville par l’est ; le CCB doit pénétrer par le sud en contournant La Sénia ; quant au CT26, déjà en position, il doit attaquer depuis l’ouest. À 10 h 30, les premiers éléments du 2e bataillon du CT16 pénètrent dans l’est d’Oran, alors que le 3e bataillon du CT18, après s’être emparé des batteries de la Pointe Canastel et avoir fait 200 prisonniers à Arcole, arrive aux faubourgs de la ville par le nord.

À l’ouest, l’avance s’est faite sans sérieux problème, mais l’attaque d’Oran est annulée en fin de matinée par l’état-major, qui pense que la ville est sur le point de se rendre. Effectivement, les Français acceptent un cessez-le-feu, qui prend effet à 12 h 15.

Allen organise immédiatement l’occupation des points stratégiques de la ville : le CT18 sécurise les docks, le CT16 s’occupe des bâtiments officiels et des installations électriques. L’armistice final intervient à 12 h 30. Les Américains continuent de garder les bâtiments officiels et les infrastructures, et l’état-major de la Task Force Centre établit ses quartiers dans le grand hôtel dès le lendemain.

Les pertes ont été légères pour la division. Les CT16 et 18 déclarent 65 morts et 196 blessés, les bataillons d’artillerie déplorent 7 pertes dont un mort, quant au CT26, ses services médicaux traitent 196 blessés. Les Français, eux, ont perdu 195 hommes. Même si ces pertes sont minimes pour une opération d’aussi grande envergure, on imagine qu’elles auraient pu être bien inférieures si la résistance française avait pu mener ses actions comme elle l’a fait à Alger.

Quant à la Big Red One, elle va continuer sa mission, qui la mènera en Sicile puis en Normandie, et jusqu’en Allemagne, fidèle à sa devise : « No mission too difficult, no sacrifice too great, duty first. ».


Historique de la Big Red One

La BRO est formée en 1917 par le général Pershing avec les 16e, 18e, 26e, 28e régiments d’infanterie et le 6e régiment d’artillerie (rejoints plus tard par les 5e et 7e régiments d’artillerie et quelques autres formations). Les régiments qui la composent ont, pour certains, une longue histoire, comme les 16e et 18e régiments, dont les premiers faits d’armes remontent à la guerre civile américaine.

La division tient son surnom du grand 1 rouge qu’elle prend comme symbole. Elle débarque à Saint-Nazaire le 16 juin 1917. Après un entraînement intensif, elle subit son baptême du feu en Lorraine. En Avril 1918, elle remporte son premier succès en prenant le village de Cantigny. Puis elle occupe Soissons et participe activement aux derniers combats.

Elle retourne aux États-Unis en septembre 1919. Elle est l’une des trois seules divisions d’infanterie à rester active avec des effectifs pleins. Comprenant jusque-là deux brigades de deux régiments, elle adopte en 1939 la structure triangulaire de trois régiments d’infanterie appuyés par deux régiments d’artillerie. Elle participe alors à une série de grandes manoeuvres où sa nouvelle organisation est testée et approuvée.

À partir de 1942, elle est de tous les combats : en Afrique du Nord, en Sicile lors de l’opération « Husky », en Normandie, puis dans les Ardennes, et finit le conflit en Tchécoslovaquie. Après la guerre, elle reste en Allemagne jusqu’en 1955, date à laquelle elle s’installe à Fort Riley, Texas. De 1965 à 1970, elle participe à la guerre du Vietnam, où elle perd plus d’hommes que pendant la Seconde Guerre mondiale. Plus récemment encore, elle est engagée dans la première guerre du Golfe en 1991, est déployée en Bosnie puis au Kosovo. Elle prend part à l’invasion de l’Irak en 2003, et une brigade est déployée en Afghanistan en 2008.