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Stonne (15-18 mai 1940)

Le « Verdun de 1940 »

Pendant trois jours, au sud de Sedan, une furieuse bataille se livre pour le contrôle du village de Stonne, position stratégique essentielle qui permettrait de menacer la tête de pont allemande sur la Meuse. Mais ce qui aurait dû être une victoire offensive française et peut-être le tournant de la campagne ne sera qu’une victoire défensive sans lendemain, malgré des coups terribles infligés à l’élite des unités allemandes.

Le 10 mai 1940, alors que les gros des forces françaises et britanniques s’est porté vers la Belgique en application du plan Dyle-Breda, trois division blindées et une division motorisée allemande pénètrent dans les Ardennes, région réputée infranchissable aux chars, et commencent leur progression vers la Meuse. Malgré la défense courageuse des chasseurs ardennais belges et d’innombrables difficultés dues à l’état des routes et coupures de terrain, les pointes du groupement von Kleist atteignent la Meuse le 12 et se heurtent aux défenses françaises, bien insuffisantes.

La Meuse est franchie

Stonne 1940 - carte

La traversée de ce fleuve se déroulera dès le lendemain, face à la 55e DI française. Soutenus par des centaines de Stukas et l’artillerie de la 1. Panzer-Division, les Allemands parviennent rapidement à prendre pied sur la rive gauche à Sedan et établissent une fragile tête de pont. Malheureusement, en face, malgré une défense parfois acharnée, le commandement français ne dispose ni des moyens ni de la volonté pour contre-attaquer. Bien au contraire, le QG de la 55e DI cède à la panique et se replie précipitamment, perdant tout capacité de réaction au soir du 13 mai. Une faible tentative de deux bataillons de chars de combat, équipés de FCM 36, tentent de se mettre en place dans la nuit mais ne débouche sur rien de concret ; elle est relancée le lendemain matin avec plus de moyen, mais les blindés allemands se révèlent largement supérieurs, c’est l’échec.

Le 14, le haut-commandement français a toutefois pris conscience de la manœuvre allemande et du danger représenté par la tête de pont installée à Sedan. De gros moyens aériens sont consentis pour tenter de détruire les ponts tenus par l’ennemi et bloquer la traversée des Panzers. Toute la journée, une noria de bombardiers français et britanniques tente l’impossible mais se heurte à une défense antiaérienne d’une densité encore jamais vue : plusieurs centaines de pièce de DCA de tous calibres délivrent un véritable barrage d’acier autour des ouvrages ! Au sol, le général Huntziger, chef de la 2e armée, se voit confier la mission de réduire la tête de pont avec tous les moyens à sa disposition. L’offensive française partira essentiellement du sud, alors que les blindés allemands s’engagent déjà droit vers l’ouest, laissant à des unités d’infanterie la couverture de leurs flancs. Les journées à venir s’annoncent décisives : soit une puissante contre-attaque française parvient à percer le flanc des troupes de von Kleist et couper les divisions blindées, soit le plan allemand se met en place et les armées alliées enfoncées en Belgique sont perdues…

Trop peu, trop tard !

L’incapacité du commandement français à mettre en place rapidement une contre-offensive sur la tête de pont de Sedan est l’une des principales occasions manquées de la campagne de 1940. Au sud de Sedan, le XXIe corps a bien reçu l’ordre de contre-attaquer, mais son commandant, le général Flavigny, semble tétanisé par la menace de percée allemande, alors même que les Panzers ne se dirigent pas vers le sud, mais vers l’ouest. Le 14, alors que les unités blindées allemandes commencent à se mettre en marche dans un grand désordre et que le rideau défensif est bien mince, aucune tentative française ne parvient à se concrétiser, le chef du XXIe corps préférant adopter une attitude défensive. Pourtant, les moyens français ne sont pas négligeables, car trois divisions supplémentaires sont engagées pour soutenir le XXIe corps : la 3e division d’infanterie motorisée, la 3e division cuirassée de réserve et la 5e division légère de cavalerie. Leur montée au front s’avère laborieuse et elles ne sont en place que dans l’après-midi du 14.

En deux jours de tergiversations, les Français ont perdu une occasion unique, laissant largement le temps aux Allemands de consolider la tête de pont et faire traverser leurs éléments blindés. La remontée des informations de terrain vers les états-majors, l’obsolescence des moyens de transmissions, le manque d’initiative des officiers supérieurs, sont clairement en cause. La reprise en main de l’offensive à partir du 15 mai va se dérouler dans des conditions bien différentes, face à un ennemi qui a repris l’initiative et qui a compris l’importance de tenir le sud de Sedan. De fait, c’est l’adversaire qui engage la bataille de Stonne, cherchant à repousser les unités françaises qui commencent à se masser. Dès les premières heures du 15 mai, une première tentative allemande est lancée sur les hauteurs du Mont-Dieu, à l’ouest du village. L’attaque est repoussée sans encombre par des unités du 91e RI car le terrain se prête facilement à la défensive et les Allemand déportent leur effort vers le village lui-même : une terrible bataille va se livrer sur les trois jours à venir, formant l’un des plus furieux engagements de la campagne de France !

Stonne, un village livré à la guerre

Petite commune du département des Ardennes, Stonne est un regroupement de quelques fermes et bâtisses, située à 17 km au sud de Sedan (ce qui montre bien le développement de la tête de pont allemande sur les journées du 13 au 15 mai). La population compte à peine quelque dizaines d’habitants, qui ont apparemment quitté les lieux avant le début des combats. Situé au nord du plateau des Grandes Armoises, le village présente une position défensive idéale, que les attaquants viennent du nord ou du sud, ce qui va expliquer la détermination de chaque camp à s’en emparer : les Français car ils disposeraient alors d’un base de départ solide pour menacer Sedan, les Allemands car ce village représente la clé d’une ligne de front contre toute tentative venant du sud… Stonne présente en effet la particularité de n’être accessible par le nord que par une route en épingle à cheveux, facilement défendable, et de dominer également au sud un plateau traversé par quelques routes sinueuses. Tous les éléments sont en place pour un terrible huis clos.

L’assaut de la Grossdeutschland

Côté allemand, c’est le prestigieux régiment Grossdeutschland qui est chargé de s’emparer du village de Stonne, soutenu par un bataillon de blindés du Panzer-Regiment 8. Considéré comme la vitrine de l’armée allemande, l’Infanterie-Regiment Grossdeutschland (mot.) est issu de l’unité de cérémonie et d’honneur de Berlin. Bien entraînée et équipée, elle est considéré comme une unité d’élite, mais manque de moyens lourds. Engagés depuis le début des combats dans les Ardennes, ses hommes ont bataillé à travers les obstacles pendant trois jours, puis joué un rôle déterminant dans la traversée de vive force de la Meuse. C’est donc une troupe fatiguée mais déterminée qui se jette à l’assaut du village de Stonne dans les premières heures du 15 mai, soutenu par de nombreux Panzer, dont quelques Panzer IV dont les canons de 75 mm vont jouer un rôle déterminant.

En face, des éléments du 67e RI et du 6e GRDI (groupe de reconnaissance de la division) ont occupé Stonne dans la journée du 14, avec plusieurs canons antichars qui tiennent la route en épingle à cheveux. A l’aube du 15 mai, le choc est terrible. Malgré la destruction de plusieurs chars fusillé à bout pourtant par les servants de 25 mm, l’assaut de la GD est irrésistible et à 5 h 30, les défenseurs français, trop peu nombreux, sont obligés de décrocher.

Immédiatement, une contre-attaque est déclenchée, menée tout d’abord par des H39 du 45e bataillon de chars de combat, alors en route pour soutenir les défenseurs. Si ce premier assaut cause des pertes à l’ennemi, l’infanterie n’a pas suivi et une nouvelle tentative est lancée, cette fois par la compagnie de B1-bis du 49e BCC. Les mastodontes, sans accompagnement d’infanterie, pénètrent dans Stonne et se livrent à un véritable carnage sur l’ennemi qui n’a pas eu le temps de se retrancher. Avec plusieurs Panzer détruits, les fantassins de la GD évacuent le village à 9 h 30… pour y revenir une heure plus tard alors que l’infanterie française n’a pas suivie. Revenus sur leur base de départ, les B1-bis repartent à l’assaut mais cette fois trois d’entre eux sont détruits, victimes des canons de 37 mm de la compagnie antichars de la GD qui s’est mise en position. Les blindés lourds français sont touchés chacun par des dizaines de coups tirés à bout pourtant. Le village reste là encore dans les mains des Allemands… mais pour quelques heures seulement, car les Français, soutenus par cette fois par une puissante artillerie, remontent à l’assaut. Les soldats de la GD sont balayés dans de furieux combats, parfois au corps à corps. Dans l’après-midi, le village martyr et les positions françaises au sud sont attaquées par des vagues de Stuka, suivies par un nouvel assaut allemand. Les Français décrochent pour la 3e fois de la journée. Stonne n’est plus qu’un champ de ruine.


Diverses photos d’époque

Source : collection Akira Takiguchi.


Le 16, une puissante attaque française, combinant chars B, H39 et de l’infanterie est lancée à partir du sud de Stonne. Les Français réinvestissent le village, s’emparent de la forêt avoisinante (Mont-Dieu) et causent d’énormes pertes à leurs adversaires. Une colonne allemande, surprise par l’Eure du capitaine Billote, est entièrement détruite. Épuisée et saignée à mort, la GD est retiré du front. Le 17, puis le 18, attaques et contre-attaques se succèdent, Stonne et le Mont-Dieu sont littéralement écrasés sous les bombes, mais les Français résistent. Les combats sont féroces et rappellent les pires engagements de la Grande Guerre : le B1-bis Riquewihr du lieutenant Domecq se précipite sur un groupe d’Allemands tapis dans un fossé…. A son retour dans les positions française, effrayés par son macabre labour, ses compagnons le surnomment le « boucher de Stonne ».

Les deux camps, épuisés, s’accordent finalement quelques jours de répit. Côté allemand, la tête de pont de Sedan est largement sécurisée et les Panzers sont en train de couper en deux l’armée française ; côté français, aucun effort supplémentaire ne peut être espéré, l’occasion décisive étant déjà largement gâchée… Décidé toutefois à s’emparer de cette position stratégique, les Allemands mettent en place une attaque de grand style qui se déroule dans la nuit du 23 mai. Écrasé par un terrible bombardement d’artillerie, les unités françaises abandonnent définitivement Stonne.

En trois jours de combats, le village de Stonne aura changé de main dix-sept fois ! Les Allemands ont perdu 9 000 hommes, morts et blessés, les Français 3 000 dont 1 000 tués*. L’une des meilleures unités de l’armée allemande s’y voit disloquée et les B1-bis y ont pris l’ascendant sur les Panzer. Mais cette furieuse bataille n’aurait malheureusement jamais dû se passer dans de telles conditions. Alors que les Français disposaient le 14 mai de la capacité de menacer le sud de la tête de pont de Sedan, les unités sont dispersées et adoptent une attitude défensive. Les jours suivants, marches et contre-marches se succèdent, sans qu’aucune attaque déterminée et concertée ne parvienne à déboucher au-delà des lisières nord de la forêt de Mont-Dieu. A Stonne, les Français se sont battus magnifiquement, mais cette bataille s’est déroulée trop tard, sans réelle volonté de porter un coup fatal à l’ennemi. Le « Verdun de 1940 », comme le surnommeront les Allemands, n’aura pas été le tournant de la campagne de France.

* ces chiffres sont ceux estimés par Eric Denis, qui a réalisé le travail le plus complet sur la bataille de Stonne. A consulter : le thématique Batailles n° 2 « La bataille de Stonne 1940 », édité chez Histoire & Collections.


Au cœur des combats, dans Stonne

Le matin du 15 mai, le lieutenant Dusautoy, chef d’une section du I/67e RI, participe à la seconde attaque de la matinée avec les B1 du 49e BCC :

« Nous collons aux chars, mais c’est au pas de course. […] Mon chef de char a ouvert son volet arrière. Il me demande conseil. Rien à craindre, le terrain est sûr jusqu’à Stonne… Nous suivons la route parallèlement à 100 m, 200 m sur la gauche en allant vers le village. A mi-chemin, c’est le tir d’artillerie de barrage. Des blessés, des morts, des appels au secours. L’arrêt n’a été que de quelques secondes. Surtout ne pas quitter ce bouclier de char B.
J’entre pour la première fois dans le village de Stonne. Mon char s’arrête. Je jette un coup d’œil sur la gauche : une maison éventrée ou une cave. Dans cet abri, des têtes… cinq ou dix. Leur effroi ! Le volet arrière du char s’ouvre à nouveau : « couchez-vous ! ». Le volet se referme ; coup de canon de 75. Tout s’est effondré. Dans un nuage de poussières, nous passons au-dessus de l’obstacle dont le char a écrasé les ruines avec les soldats ennemis. Une de ces visions qui m’obsèdent toujours. Dans le village, l’on tire de partout, notre char nous a quittés… »

Cité par Stéphane Bonnaud, dans un dossier passionnant sur les chars du 49e BCC publié dans la revue GBM n° 88 (juillet 2009).

L’association Ardennes 40

Nous vous recommandons de visiter la région où se déroula la bataille de Stonne. La simple vue du village et du Pain de Sucre permet de comprendre l’intérêt stratégique du secteur. Une association très active « Ardenne 40 – à ceux qui ont résisté », sous la direction magistrale de Michel Baudier, a accompli depuis de nombreuses années un travail de mémoire exemplaire. Il est par exemple possible de suivre le circuit balisé de la bataille de Stonne.

D’une longueur de 50 km, cet itinéraire permet de partir à la rencontre de tous les hauts lieux des batailles qui s’y déroulèrent. Pour chacun d’eux, un « totem » informatif explique les évènements s’y rapportant. Vous pouvez soutenir cette association. Pour une somme modique, vous apporterez votre pierre à l’édifice de la mémoire de « ceux qui ont résisté » dans les Ardennes françaises en 1940.

Pour tous renseignements et des informations complémentaires sur la bataille de Stonne, consulter l’excellent site de l’association : www.ardennes1940aceuxquiontresiste.org


Le magazine Ici et pas Ailleurs de la rédaction de France 3 Champagne-Ardenne consacre un reportage à la bataille de Stonne.
Le 10 mai 1940, les troupes allemandes pénètrent aux Pays-Bas, au Luxembourg et en Belgique. Conformément au plan établi, la première armée française se porte à leur rencontre, tombant ainsi dans le piège allemand. Le 13 mai, l’ennemi atteint Sedan, perçant la ligne de front, et avance vers Paris. À Stonne le 15 mai et à Montcornet le 17 mai, mais aussi ailleurs dans la région, des contre-offensives sont alors menées pour tenter de l’arrêter.