30 04 24

Dwight David Eisenhower

L’artisan de la victoire à l’Ouest

Longtemps contingenté dans un obscur et fastidieux travail d’état-major, Dwight David Eisenhower sort brusquement de l’anonymat pour devenir le commandant suprême du corps expéditionnaire allié engagé sur le théâtre d’opération européen. Derrière son sourire désarmant se cachent le brillant chef militaire, l’organisateur hors pair et l’habile diplomate qui vont accomplir une des missions les plus ardues qu’aient eu à mener un chef militaire pendant la Seconde Guerre mondiale.

« J’éprouve une peine terrifiante en pensant aux parents de nos jeunes soldats qui se sont sacrifiés lors de ces affrontements. Cependant, je ne peux m’empêcher de penser aux nouvelles générations qui pourront désormais vivre dans un monde libre grâce aux sacrifices de leurs pères ».

Eisenhower, août 1944

D’Abilène à West Point

Dwight D. Eisenhower voit le jour le 14 octobre 1890 dans la ville texane de Denison. Troisième garçon d’une fratrie qui en compte sept, Dwight grandit à Abilène. C’est le surnom de « Ike » qui sera le plus usité pour le désigner.

Le train de vie de la famille Eisenhower est modeste. Les enfants se voient inculquer une éducation fondée sur le respect de soi et de l’autorité, dans laquelle la religion tient également une grande place. Comme ses frères, le jeune Dwight est bon élève et excelle aussi bien au rugby qu’au base-ball. Il obtient son diplôme de fi n d’études secondaires en 1909, mais les faibles revenus de la famille ne permettent d’envoyer qu’un seul garçon à l’université. C’est son frère aîné, Edgar, qui part étudier pendant que Dwight travaille pour lui payer ses études.

Grâce au soutien du sénateur du Kansas, Joseph L. Bristow, il passe les examens d’entrée pour l’école navale d’Annapolis et pour l’Académie militaire de West Point. Ses résultats sont excellents ; il se classe premier pour Annapolis et second pour West Point. Après avoir passé avec succès l’épreuve finale, Ike, qui est âgé de 21 ans, entre à West Point le 14 juin 1911. C’est un garçon populaire, mais fâché avec les règlements. Son obstination et son indépendance s’accordent mal avec l’esprit de la prestigieuse académie. Dans les rangs de sa promotion, le cadet Eisenhower côtoie Omar N. Bradley. À ce brillant camarade, il prédit un grand avenir sans se douter que quelques années plus tard, il le retrouvera sous ses ordres.

Le 12 juin 1915, il reçoit son diplôme, il se classe 65e sur 170. Il est alors nommé sous-lieutenant dans l’infanterie.

Instructeur de char

Affecté à Fort Sam Houston, le jeune officier gagne en maturité et s’affirme de plus en plus comme un officier de valeur. C’est alors que, le 2 avril 1917, les États-Unis entrent en guerre contre l’Allemagne. L’armée américaine n’est pas prête ; les hommes et les armes manquent. Jusqu’à la fin du conflit, l’officier espère être envoyé en France, mais lorsque son ordre de mission arrive, l’Armistice est déjà signé depuis une semaine.

La fin du conflit est une période difficile pour lui. Il n’a pas pu faire ses preuves sur le champ de bataille et la paix recouvrée, la carrière militaire n’ouvre que peu de perspectives de promotion rapide. De plus, Dwight D. Eisenhower est plus âgé que la majorité des officiers et a un genou en mauvais état. Il passe la majeure partie de son temps à entraîner l’équipe de football et envisage sérieusement une carrière dans le civil. Il est promu major en 1920. À l’Infantry Tank School de Camp Meade, il réfléchit à la meilleure utilisation du char en situation de combat et prend conscience que cette arme peut révolutionner les conceptions stratégiques et tactiques de la guerre sur terre. Il partage ce point de vue avec un autre officier du corps des blindés, le colonel George S. Patton (voir Axe & Alliés n° 10).

De Panama à Manille

L’année suivante, il rejoint le général Fox Conner en poste à Panama. Ce dernier stimule l’intérêt d’Eisenhower pour sa profession et lui conseille de se rapprocher du général George C. Marshall. En août 1925, il retourne aux États-Unis pour suivre les enseignements de la Command and General Staff School de Fort Leavenworth. Il sort major de sa promotion.

En 1927, Eisenhower est placé sous l’autorité du général Pershing. Il prépare un guide sur les batailles et la stratégie américaine pendant la Première Guerre mondiale. Après son passage à l’Army industrial College où il sort encore une fois major de sa promotion, il reçoit la Distinguished Service Medal.

Après un séjour en France, Ike revient dans un pays laminé par la crise économique. Les pro-motions se font rares dans une armée subissant des coupes sombres dans son budget. En poste à Washington D.C., il rencontre le charismatique Douglas MacArthur qui est nommé conseiller militaire auprès du gouvernement philippin en 1935. Il demande au War Department que le major Eisenhower l’accompagne. Ce dernier prend alors la direction de Manille où il va passer quatre ans à aider MacArthur à élaborer un plan de défense nationale pour le gouvernement philippin. Eisenhower s’initie alors au jeu subtil de la diplomatie et entretient d’excellentes relations avec le président Quezon.

La première étoile

À partir de 1938, il ne fait plus aucun doute qu’un conflit est imminent et Ike est persuadé que son pays ne pourra maintenir très longtemps sa politique neutraliste. L’armée américaine est en pleine effervescence. Il rentre au pays en décembre 1939 et sert au sein de la 3rd Infantry Division. L’année suivante, il est promu lieutenant-colonel, mais à son grand désespoir, il n’obtient pas le commandement tant espéré, celui d’un régiment blindé. Pendant l’été 1941, il est le chef d’état-major du général Walter Krueger qui commande la 3rd Army. Il se distingue particulièrement pendant les grandes manœuvres, qui ont lieu en septembre 1941 en Louisiane. De l’aveu de tous, il participe grandement à la victoire « virtuelle » de ses troupes. Le 29 septembre, le président Roosevelt soumet sa nomination pour le grade de général de brigade.Cet officier prometteur est alors rappelé à Washington D.C. après l’attaque japonaise sur Pearl Harbor. Le chef d’état-major de l’armée, le général Marshall, le choisit parmi des milliers d’officiers compétents pour « déterminer la ligne générale d’action » que devront suivre les troupes américaines en cas de conflit dans le Pacifique. L’expérience que Ike a acquise aux Philippines est déterminante. Cantonné dans un travail de bureau qui le monopolise quatorze heures par jour et sept jours sur sept, il impressionne fortement Marshall par ses qualités d’organisateur et gravit rapidement les échelons. Il prend la tête de la War Plans Division et de l’Operation Division participant à la définition de la stratégie américaine dans le Pacifique. En mars 1942, Eisenhower reçoit sa deuxième étoile.

Commandant en Europe

Après la chute de Bataan en 10 avril 1942, Britanniques et Américains s’accordent pour porter l’effort principal contre l’Allemagne et l’Italie afin de soulager l’allié soviétique. Marshall décide de confier le commandement des troupes américaines en Europe à Eisenhower bien que ce dernier ne possède aucune expérience du combat ni du commandement.

Néanmoins, une tâche énorme attend Ike. Il doit rassembler des armées de différentes nationalités en un ensemble cohérent et efficace, coordonner les forces terrestres, navales et aériennes et tenir compte des impératifs de production et de logistique. Une tâche aussi difficile ne peut être confiée qu’à un homme possédant de grandes qualités d’organisation, et c’est son cas. Le haut commandement américain est très tôt acquis à l’idée d’un débarquement sur les côtes occidentales de l’Europe. La War Plans Division travaille activement à l’élaboration d’un plan d’invasion. Le 8 avril 1942, Marshall se rend à Londres pour proposer aux Britanniques deux plans de débarquement sur les côtes du nord-ouest afin d’attirer des unités allemandes et ainsi de soulager l’Armée rouge. Une opération de grande envergure, Round Up (rafle), doit avoir lieu au printemps 1943. L’opération Sledgehammer (marteau-pilon), qui est programmée pour septembre 1942, prévoit un débarquement dans la presqu’île du Cotentin qui doit fixer les divisions allemandes à l’Ouest.

Conscient du caractère décisif que pourrait avoir une attaque directe contre l’Allemagne, Churchill et son état-major jugent ces actions prématurées. Leur faiblesse militaire, ainsi que le souvenir du coûteux échec du débarquement à Gallipoli dans les Dardanelles en 1915 (46 000 morts) les rendent dubitatifs quant aux chances de réussite d’une opération amphibie sur le continent. De plus, la machine de guerre américaine, mobilisée tardivement, est loin d’avoir comblé son retard et il lui faut enrôler, instruire et équiper ses soldats. En outre, une opération de cette envergure nécessite l’acheminement d’importants contingents de troupes et de matériel vers l’Angleterre, mais la menace persistante que font peser les U-Boote dans Atlantique entrave l’exécution de l’opération Bolero. Les navires et les barges de débarquement sont encore en nombre insuffisant. Le raid mené contre Dieppe le 19 août 1942 se solde par un sanglant échec pour les Anglo-canadiens, mais cette opération ne sera pas dépourvue de bénéfice pour les Alliés, qui sauront tirer les enseignements de ce désastre. Quoi qu’il en soit, les Britanniques donnent leur accord de principe à l’issue de la conférence Arcadia, en préconisant d’affaiblir l’Allemagne par des bombardements aériens, la mise en place d’un blocus et des attaques périphériques, notamment en Méditerranée, qui obligeraient Hitler à disséminer ses forces. Le pragmatisme britannique et l’urgence de la situation militaire dans le Pacifique persuadent Roosevelt de retarder l’opération Round Up au profit d’un débarquement en Afrique du Nord française.

Mise sur pied du SHAEF

Arrivé à Londres, Eisenhower apprend que le débarquement en Europe est ajourné pour un débarquement en Afrique du Nord dont il prend le commandement. Pour la première fois, il est confronté aux divergences stratégiques entre les Britanniques et les Américains. Il n’a que trois mois pour monter l’opération connue sous le nom de code Torch. Elle est lancée le 8 novembre 1942. Malgré l’inexpérience des troupes et des états-majors ainsi que le manque de matériel, c’est un succès. Le général Eisenhower en tire de précieux enseignements pour l’avenir.

Après la difficile campagne de Tunisie, il est promu général à quatre étoiles. La Sicile est conquise à la fin du mois d’août 1943. Le débarquement à Salerne est lancé dès le 8 septembre mais la résistance allemande, de plus en plus âpre, ralentit considérablement la progression alliée. Eisenhower décide donc, contre l’avis de Churchill, de ne plus mener que des opérations secondaires sur le front méditerranéen et transférer le gros des troupes vers l’Angleterre.

Depuis plusieurs mois déjà, le Chief of Staff to Supreme Allied Commander (COSSAC), le général Fredericks E. Morgan, prépare Overlord (Seigneur suprême), une opération devant permettre de s’assurer une solide tête de pont sur le continent et à partir de laquelle des futures offensives pourront être lancées. Le plan d’invasion est prêt en juillet, mais le lieu précis de débarquement n’a pas encore été déterminé. La défaite des U-Boote en Atlantique permet d’augmenter le nombre des convois qui acheminent le corps expéditionnaire américain en Grande-Bretagne. Au fi l des mois, de vastes camps militaires sortent de terre. Les usines tournent à plein régime, tandis que les hommes s’entraînent sans relâche, et le haut commandement peaufine ses plans de bataille.Le 28 novembre lors de la conférence de Téhéran, Churchill, Roosevelt et Staline entérinent les propositions du COSSAC. Comme l’essentiel des hommes et du matériel est fourni par les États-Unis, il est décidé que le commandant en chef des forces alliées en Europe sera américain. Roosevelt qui ne peut se passer de Marshall, nomme donc son principal conseiller militaire, Eisenhower. Sa mission se résume en trois points : pénétrer sur le continent, atteindre le cœur de l’Allemagne et détruire ses forces armées.

Ike arrive en Angleterre le 14 janvier 1944 et met sur pied le Supreme Headquarter Allied Expeditionnary Force (SHAEF) qui est chargé de planifier l’opération dans ses moindres détails. Il commande la plus importante force d’invasion jamais rassemblée à ce jour.

Jour-J

Le débarquement est un succès, mais le plus dur reste à faire. Il faut assurer le ravitaillement des armées en campagne et décider de la stratégie à adopter tout en composant avec ses commandants d’armées. Le calme, la rectitude, le tact et la finesse psychologique de l’homme sont nécessaires pour contrôler les esprits forts et ambitieux d’un Montgomery ou encore d’un Patton. Ses choix sont plusieurs fois remis en cause par les Britanniques, mais il réussit à affirmer la primauté de son commandement suprême grâce au soutien de Marshall et de Roosevelt.

En France, il doit également concilier les considérations militaires et les problèmes politiques. Il est obligé de composer avec la forte personnalité du général de Gaulle. L’administration militaire (AMGOT) n’est pas mise en place et il doit laisser les Français s’administrer. La 2e DB entre dans Paris le 25 août alors que cela n’est pas prévu à ce stade des opérations. La bataille de France ne dure que 80 jours malgré la forte résistance des armées allemandes. En raison de la rapidité de leur progression, les armées alliées sont touchées par la pénurie de carburant. Eisenhower doit choisir entre deux tactiques. Montgomery veut foncer vers Anvers et se rabattre sur la Ruhr tandis que Patton désire continuer sur sa lancée et défaire son ennemi avant qu’il ne puisse se ressaisir. Ike opte pour le plan britannique, mais l’opération Market-Garden se solde par un terrible échec. Les forces allemandes utiliseront ce contretemps inespéré pour consolider leurs positions. Si l’offensive allemande dans les Ardennes belges prend les Alliés au dépourvu, leur vive réaction permet de rétablir la situation.

Après la traversée du Rhin, la route de Berlin est ouverte. Eisenhower et ses compatriotes découvrent alors l’enfer des camps de concentration et prennent conscience de l’ampleur des crimes nazis. A l’issue de la visite du camp d’Ohrdruf, le 12 avril 1945, Eisenhower, déclare : « On nous dit que le soldat américain ne sait pas pourquoi il se bat. Maintenant, au moins, il saura contre qui il se bat ». A Buchenwald, il ordonne que les unités américaines visitent le camp et que les habitants de la ville voisine participent à l’enfouissement des cadavres.

Parallèlement, Eisenhower laisse l’Armée rouge prendre la capitale allemande et Prague sans se préoccuper des considérations politiques de Churchill. En moins d’un an, il atteint le but qui lui avait été fixé. Il obtient la capitulation sans condition de l’Allemagne à Reims le 7 mai 1945. Au lendemain de la guerre, Eisenhower succède à Marshall et dirige la démobilisation des troupes américaines.

Sa grande popularité et ses qualités intrinsèques lui permettront de briguer deux mandats présidentiels sous l’étiquette républicaine de 1952 à 1960. Le 28 mars 1969, Eisenhower s’éteint au Walter Reed Army Hospital de Washington D.C. Le monde entier rendra un vibrant hommage à cet homme qui, pendant un quart de siècle aura marqué de son empreinte l’histoire de son pays et celle du monde.

La décision la plus importante de sa vie

La date du débarquement est fixée au 5 juin, mais le temps, capricieux, va en décider autrement. En effet, le bon déroulement des opérations Neptune et Overlord dépend en partie des conditions météorologiques. Le 4 au matin, le group captain James Martin Stagg, qui dirige le service météorologique, signale que le front froid prévu pour le mercredi 7 juin avec un « ciel couvert, moins de 150 mètres de plafond par moment, vent force 4 à 5 temporairement 6 » va traverser la mer de la Manche avec 24 à 36 heures d’avance sur les prévisions.

Il annonce la nouvelle aux membres du SHAEF au briefing du soir tout en prévoyant une amélioration pour le 5 en soirée. Par précaution, Eisenhower décide de retarder les opérations de 24 heures. Tout report trop important mettrait en péril l’opération. Eisenhower décide alors de lancer l’attaque le 6 juin. C’est la décision la plus difficile qu’il ait eu à prendre : « Il était difficile d’imaginer un cas de conscience aussi déchirant […] Si les événements venaient confirmer ces prévisions, je porterais jusqu’à ma mort le fardeau insoutenable de la responsabilité d’avoir envoyé stupidement au sacrifice des milliers de soldats ». Il démontre, à cette occasion, sa grande force de caractère.


The Ike’s Great Crusade Message

Soldats, Marins et Aviateurs des Forces Expéditionnaires alliées !

Vous êtes sur le point de vous embarquer pour la grande croisade vers laquelle ont tendu tous nos efforts pendant de longs mois. Les yeux du monde sont fixés sur vous. Les espoirs, les prières de tous les peuples épris de liberté vous accompagnent. Avec nos valeureux alliés et nos frères d’armes des autres fronts, vous détruirez la machine de guerre allemande, vous anéantirez le joug de la tyrannie que les nazis exercent sur les peuples d’Europe et vous apporterez la sécurité dans un monde libre.

Votre tâche ne sera pas facile. Votre ennemi est bien entraîné, bien équipé et dur au combat. Il luttera sauvagement.

Mais nous sommes en 1944 ! Beaucoup de choses ont changé depuis le triomphe nazi des années 1940-41. Les Nations unies ont infligé de grandes défaites aux allemands, dans des combats d’homme à homme. Notre offensive aérienne a sérieusement diminuée leur capacité à faire la guerre sur terre et dans les airs. Notre effort de guerre nous a donné une supériorité écrasante en armes et munitions, et a mis à notre disposition d’importantes réserves d’hommes bien entraînés. Le cours de la bataille a tourné ! Les hommes libres du monde marchent ensemble vers la Victoire !

J’ai totalement confiance en votre courage, votre dévouement et votre compétence dans la bataille. Nous n’accepterons que la Victoire totale !

Bonne chance ! Et implorons la bénédiction de Dieu Tout-Puissant sur cette grande et noble entreprise.

General Dwight D. Eisenhower
Ordre du jour : 6 juin 1944