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PLUTO : Pipe Line Under The Ocean

L’ouverture d’un second front sur la côte occidentale de l’Europe en juin 1944 a posé de nombreux problèmes logistiques au commandement allié. L’acheminement de l’essence était d’une importance stratégique considérable. Il fallait donc inventer un nouveau système capable d’alimenter de manière continue les armées.

« Mes soldats peuvent manger leur cartouchière, mais mes chars ont besoin de pétrole ».

Général Patton, août 1944.

La conception

En avril 1942, Lord Louis Mounbatten, responsable des Opérations combinées, s’interroge sur la possibilité d’acheminer le carburant vers la future zone d’opération en posant un pipeline sous-marin à travers la Manche. En dépit de la difficulté de la mise en oeuvre, Geoffrey Lloyd, qui dirige le Pretroleum Warfare Department, l’assure de la faisabilité de l’opération. Un ingénieur en chef de l’Anglo-Iranian Oil Company, Clifford Hartley, envisage une solution. Il s’agit de concevoir une conduite flexible en mesure de résister aux courants marins. Elle doit être capable de transporter d’importantes quantités de carburant sous très haute pression sur une centaine de kilomètres. Le 15 avril 1942, après bien des tâtonnements, Hartley, avec l’aide de Siemens Brothers, propose de fabriquer des câbles semi-rigides creux semblables aux câbles sous-marins utilisés pour les transmissions téléphoniques et pouvant être posées sans raccord en moins de dix heures. Le 10 mai suivant, un kilomètre de conduite, raccordé à des pompes à haute pression, est testé avec succès sur la rivière Medway. En décembre 1942, 50 kilomètres de canalisation sont posés en pleine mer, entre Swansea et Ilfracombe. Parallèlement, d’autres travaux sont lancés par HA Hammick, ingénieur en chef de l’Iraq Petroleum Company et BJ. Ellis, ingénieur en chef des champs pétrolifères de la Burmah Oil Company. Ils conçoivent un pipeline en acier de trois pouces.

En 1943, Donald Banks prend la direction du projet PLUTO et lance l’opération BAMBI. Une première station de pompage est installée à Shanklin sur l’île de Wight ; vingt-huit autres pompes camouflées en d’anodins bâtiments civils sont construites dans le plus grand secret à Shanklin et à Sandown.

L’or noir coule à flot

Dès les premières heures du débarquement en Normandie, les jerricans et les fûts d’essence sont acheminés directement sur les plages. A raison de 2 000 tonnes de carburant consommées chaque jour, ce système empirique permet de ravitailler convenablement les troupes pendant quelques jours, mais avec l’extension rapide des têtes de pont et l’augmentation des effectifs et du matériel mis à terre, les stocks fondent à vue d’oeil, une situation d’autant plus préoccupante que l’un des deux ports artificiels (Saint-Laurent-sur-Mer) est détruit par une tempête.

Par la suite, les systèmes, mineur et majeur, sont mis en œuvre par les Alliés. À partir de la mi-juin, des tankers mouillant à quelques miles des côtes approvisionnent directement les troupes à terre à l’aide de deux pipelines de faible diamètre. Un peu plus tard, deux dépôts sont installés à Port-en-Bessin et à Sainte-Honorine-des-Pertes. De là partent un réseau de pipelines permettant d’alimenter les premières lignes (2,4 millions de litres par jour) jusqu’à l’entrée en service de PLUTO.

Ce dernier repose sur le système majeur, autrement dit sur l’installation de deux oléoducs au fond de la Manche. Le Hais (Hartley-Anglo-Iranian-Siemens) est un oléoduc relativement léger (trente tonnes pour dix kilomètre posé) et souple. Il est posé par un navire équipé d’un dévidoir en son centre. Le second système, le Hamel (le nom vient de la contraction de Hammick et de Ellis, les deux concepteurs) est un tube de deux pouces de diamètre beaucoup plus rigide. Les six pipelines d’une longueur de 112 kilomètres sont enroulés sur d’énormes bobines – les Conums – des dévidoirs tirés par des remorqueurs qui, une fois garnies, pèsent 1 600 tonnes.

Le port de Cherbourg-Querqueville, qui a été choisi comme point d’arrivée des oléoducs, est libéré le 26 juin 1944, mais il faut attendre qu’il soit nettoyé et déminé pour que PLUTO puisse être mis en oeuvre. BAMBI entre finalement en activité le 13 août 1944 et d’immenses stocks peuvent être constitués. Deux mois plus tard, le 3 octobre 1944, il passe le relais au système DUMBO reliant Dungeness au Pas-de-Calais. Les ports du Havre et de Cherbourg sont alimentés par tankers, ainsi que ceux de Dieppe et de Boulogne-sur-Mer. PLUTO sera démantelé quelques mois après la capitulation allemande. Banks estime que PLUTO a permis d’acheminer 273 000 000 gallons (575 000 tonnes) de carburant.

Au final, 17 pipelines ont été posés permettant d’alimenter les divisions alliées jusqu’à la fin de la guerre en Europe. En mars 1945, 1 000 000 de gallons (soit 3 323 tonnes) sont pompés chaque jour.


Les armées alliées sous perfusion

A la fin du mois d’août 1944, les 1e et 3e armée américaines consomment quatre millions de litres par jour, l’ensemble des armées alliées, plus de huit millions de litres. En septembre, 8 900 kilomètres de pipelines sont ainsi installés de la Normandie au bassin Parisien, soit une capacité de 10,7 millions de litres par jour. Néanmoins, les logisticiens alliés sont pris en défaut par la rapidité de la progression alliée. Les divisions de Patton et de Montgomery sont contraintes de s’immobiliser. Pour remédier rapidement aux problèmes, des axes routiers réservés aux transports de logistique sont aménagés dans l’urgence, de Saint-Lô à Soissons (Red Ball Express) et de Bayeux à Bruxelles. Ils sont empruntés nuit et jour jusqu’en novembre 1944 par près de 6 000 camions.

L’alimentation en essence

Le parc automobile allié à alimenter en essence est énorme : 500 000 véhicules avec des consommations moyennes qui ne sont pas des moindres :

Jeep Willys : 12 l/100
Camion Dodge : 30 l/100
Camion GMC : 40 l/100
Half Track : 110 l/100
Char M4 : 235 l/100
Chasseur bombardier allié : 550 litres/heure